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La démarche de mon ami était chancelante, et les clochettes de son bonnet cliquetaient à chacune de ses enjambées.

« La pipe d’amontillado ? dit-il.

— C’est plus loin, dis-je ; mais observez cette broderie blanche qui étincelle sur les murs de ce caveau. »

Il se retourna vers moi et me regarda dans les yeux avec deux globes vitreux qui distillaient les larmes de l’ivresse.

« Le nitre ? demanda-t-il à la fin.

— Le nitre, répliquai-je.

— Depuis combien de temps avez-vous attrapé cette toux ?

— Euh ! euh ! euh ! — euh ! euh ! euh ! — euh ! euh ! euh ! — euh !… »

Il fut impossible à mon pauvre ami de répondre avant quelques minutes.

« Ce n’est rien, dit-il enfin.

— Venez, dis-je avec fermeté, — allons-nous-en ; votre santé est précieuse. Vous êtes riche, respecté, admiré, aimé ; vous êtes heureux, comme je le fus autrefois ; vous êtes un homme qui laisserait un vide. Pour moi, ce n’est pas la même chose. Allons-nous-en ; vous vous rendrez malade. D’ailleurs, il y a Luchesi…

— Assez, dit-il ; la toux, ce n’est rien. Cela ne me tuera pas. Je ne mourrai pas d’un rhume.

— C’est vrai, c’est vrai, répliquai-je, et, en vérité, je n’avais pas l’intention de vous alarmer inutilement ; — mais vous devriez prendre des précautions. Un coup de ce médoc vous défendra contre l’humidité. »

Ici, j’enlevai une bouteille à une longue rangée de ses compagnes qui étaient couchées par terre, et je fis sauter le goulot.

« Buvez, » dis-je, en lui présentant le vin.

Il porta la bouteille à ses lèvres, en me regardant du coin