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fession n’étaient pas tout à fait passés de mode à la cour. Quelques-unes des grandes puissances continentales gardaient encore leurs fous ; c’étaient des malheureux, bariolés, ornés de bonnets à sonnettes, et qui devaient être toujours prêts à livrer, à la minute, des bons mots subtils, en échange des miettes qui tombaient de la table royale.

Notre roi, naturellement, avait son fou. Le fait est qu’il sentait le besoin de quelque chose dans le sens de la folie, — ne fût-ce que pour contre-balancer la pesante sagesse des sept hommes sages qui lui servaient de ministres, — pour ne pas parler de lui.

Néanmoins, son fou, son bouffon de profession n’était pas seulement un fou. Sa valeur était triplée aux yeux du roi par le fait qu’il était en même temps nain et boiteux. Dans ce temps-là, les nains étaient à la cour aussi communs que les fous ; et plusieurs monarques auraient trouvé difficile de passer leur temps — le temps est plus long à la cour que partout ailleurs — sans un bouffon pour les faire rire et un nain pour en rire. Mais, comme je l’ai déjà remarqué, tous ces bouffons, dans quatre-vingt-dix-neuf cas sur cent, sont gras, ronds et massifs, — de sorte que c’était pour notre roi une ample source d’orgueil de posséder dans Hop-Frog — c’était le nom du fou — un triple trésor en une seule personne.

Je crois que le nom de Hop-Frog n’était pas celui dont l’avaient baptisé ses parrains, mais qu’il lui avait été conféré par l’assentiment unanime des sept ministres, en raison de son impuissance à marcher comme les autres hommes[1]. Dans le fait, Hop-Frog ne pouvait se mouvoir qu’avec une sorte d’allure interjectionnelle, — quelque chose entre le saut et le tortillement, — une espèce de mouvement qui était pour le roi une récréation perpétuelle et, naturellement, une jouissance :

  1. Hop, sautiller, — frog, grenouille. — C. B.