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très reculée du manoir était venu confusément à mon oreille un bruit qu’on eût dit, à cause de son exacte analogie, l’écho étouffé, amorti, de ce bruit de craquement et d’arrachement si précieusement décrit par sir Launcelot. Évidemment, c’était la coïncidence seule qui avait arrêté mon attention ; car, parmi le claquement des châssis des fenêtres et tous les bruits confus de la tempête toujours croissante, le son en lui-même n’avait rien vraiment qui pût m’intriguer ou me troubler. Je continuai le récit :

« Mais Ethelred, le solide champion, passant alors la porte, fut grandement furieux et émerveillé de n’apercevoir aucune trace du malicieux ermite, mais en son lieu et place un dragon d’une apparence monstrueuse et écailleuse, avec une langue de feu, qui se tenait en sentinelle devant un palais d’or, dont le plancher était d’argent ; et sur le mur était suspendu un bouclier d’airain brillant, avec cette légende gravée dessus :

Celui-là qui entre ici a été le vainqueur ;
Celui-là qui tue le dragon, il aura gagné le bouclier.

« Et Ethelred leva sa massue et frappa sur la tête du dragon, qui tomba devant lui et rendit son souffle empesté avec un rugissement si épouvantable, si âpre et si perçant à la fois, qu’Ethelred fut obligé de se boucher les oreilles avec ses mains, pour se garantir de ce bruit terrible, tel qu’il n’en avait jamais entendu de semblable. »

Ici je fis brusquement une nouvelle pause, et cette fois avec un sentiment de violent étonnement, — car il n’y avait pas lieu à douter que je n’eusse réellement entendu (dans quelle direction, il m’était impossible de le deviner) un son affaibli et comme lointain, mais âpre, prolongé, singulièrement perçant et grinçant, — l’exacte contre-partie du cri surnaturel du dragon décrit par le romancier, et tel que mon imagination se l’était déjà figuré.