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Je me rappelle fort bien que les inspirations naissant de cette ballade nous jetèrent dans un courant d’idées, au milieu duquel se manifesta une opinion d’Usher que je cite, non pas tant en raison de sa nouveauté, — car d’autres hommes[1] ont pensé de même, — qu’à cause de l’opiniâtreté avec laquelle il la soutenait. Cette opinion, dans sa forme générale, n’était autre que la croyance à la sensitivité de tous les êtres végétaux. Mais, dans son imagination déréglée, l’idée avait pris un caractère encore plus audacieux, et qui empiétait, dans de certaines conditions, jusque sur le règne inorganique. Les mots me manquent pour exprimer toute l’étendue, tout le sérieux, tout l’abandon de sa foi. Cette croyance toutefois se rattachait — comme je l’ai déjà donné à entendre — aux pierres grises du manoir de ses ancêtres. Ici, les conditions de sensitivité étaient remplies, à ce qu’il imaginait, par la méthode qui avait présidé à la construction, — par la disposition respective des pierres, aussi bien que de toutes les fongosités dont elles étaient revêtues, et des arbres ruinés qui s’élevaient à l’entour, — mais surtout par l’immutabilité de cet arrangement et par sa répercussion dans les eaux dormantes de l’étang. La preuve, la preuve de cette sensitivité se faisait voir, — disait-il, et je l’écoutais alors avec inquiétude, — dans la condensation graduelle, mais positive, au-dessus des eaux, autour des murs, d’une atmosphère qui leur était propre. Le résultat, — ajoutait-il, — se déclarait dans cette influence muette, mais importune et terrible, qui depuis des siècles avait pour ainsi dire moulé les destinées de sa famille, et qui le faisait, lui, tel que je le voyais maintenant, — tel qu’il était. De pareilles opinions n’ont pas besoin de commentaires, et je n’en ferai pas.

Nos livres, — les livres qui depuis des années constituaient

  1. Watson, Percival, Spallanzani, et particulièrement l’évêque de Landaff. — Voir les Chemical Essays, vol. V. — E. A. P.