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étroites limites dans lesquelles il avait confiné son talent sur la guitare qui avaient, en grande partie, imposé à ses compositions leur caractère fantastique. Mais, quant à la brûlante facilité de ses improvisations, on ne pouvait s’en rendre compte de la même manière. Il fallait évidemment qu’elles fussent et elles étaient, en effet, dans les notes aussi bien que dans les paroles de ses étranges fantaisies, — car il accompagnait souvent sa musique de paroles improvisées et rimées, — le résultat de cet intense recueillement et de cette concentration des forces mentales, qui ne se manifestent, comme je l’ai déjà dit, que dans les cas particuliers de la plus haute excitation artificielle. D’une de ces rapsodies je me suis rappelé facilement les paroles. Peut-être m’impressionna-t-elle plus fortement, quand il me la montra, parce que, dans le sens intérieur et mystérieux de l’œuvre, je découvris pour la première fois qu’Usher avait pleine conscience de son état, — qu’il sentait que sa sublime raison chancelait sur son trône. Ces vers, qui avaient pour titre le Palais hanté, étaient, à très peu de chose près, tels que je les cite :

I

Dans la plus verte de nos vallées,
Par les bons anges habitée,
Autrefois un beau et majestueux palais,
— Un rayonnant palais, — dressait son front.
C’était dans le domaine du monarque Pensée,
C’était là qu’il s’élevait.
Jamais séraphin ne déploya son aile
Sur un édifice à moitié aussi beau.

II

Des bannières blondes, superbes, dorées,
À son dôme flottaient et ondulaient ;
(C’était, — tout cela, c’était dans le vieux,
Dans le très vieux temps)
Et, à chaque douce brise qui se jouait
Dans ces suaves journées,