Page:Poe - Notice sur la traduction de Bérénice, paru dans L’Illustration, 17 avril 1832.djvu/4

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Bérénice.


Le morceau que nous donnons à nos lecteurs est tiré des œuvres d’Edgar Allan Poe. Il date des premiers temps de sa vie littéraire. Edgar Poe, qu’on pourrait appeler la tête forte des États-Unis, est mort en 1849, à l’âge de 37 ans. Il est mort pour ainsi dire, dans le ruisseau ; un matin, les agents de police l’ont ramassé et l’ont porté à l’hôpital de Baltimore ; il a quitté la vie, comme Hoffmann et Balzac et tant d’autres, au moment où il commençait à avoir raison de sa terrible destinée. Pour être tout à fait juste, il faut rejeter la responsabilité d’une partie de ses vices, et notamment de son ivrognerie, sur la sévère société dans laquelle la Providence l’avait enfermé.

Toutes les fois que M. Poe fut heureux, ou à peu près tranquille, il fut le plus aimable et le plus séduisant des hommes. Cet excentrique et orageux écrivain n’eut d’autre réelle consolation dans sa vie que le dévouement angélique de la mère de sa femme, mistriss Clemm, à qui tous les cœurs solitaires rendront un hommage légitime.

Edgar Poe n’est pas spécialement un poëte et un romancier : il est poëte, romancier et philosophe. Il porte le double caractère de l’illuminé et du savant. Qu’il ait fait quelques œuvres mauvaises et hâtives, cela n’a rien d’étonnant, et sa terrible vie l’explique ; mais ce qui fera son éternel éloge, c’est la préoccupation de tous les sujets réellement importants, et seuls dignes de l’attention d’un homme spirituel : probabilités, maladie de l’esprit, sciences conjecturales, espérances et calculs sur la vie ultérieure, analyse des excentriques et des parias de la vie sublunaire, bouffonneries directement symboliques. Ajoutez à cette ambition éternelle et active de sa pensée, une rare érudition, une impartialité étonnante et antithétique relativement à sa nature subjective, une puissance extraordinaire de déduction et d’analyse, et la roideur habituelle de sa littérature, il ne paraîtra pas surprenant que nous l’ayons appelé la tête forte de son pays. C’est l’idée opiniâtre d’utilité, ou plutôt une curiosité enragée, qui distingue M. Poe de tous les romantiques du continent, ou si vous l’aimez mieux, de tous les sectaires de l’école dite romantique.