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blanche qui l’enfermait ? Frissonnant d’une inexprimable crainte, je levai lentement mes yeux pour voir la physionomie du cadavre. On avait mis un bandeau autour des mâchoires, mais, je ne sais comment, il s’était dénoué. Les lèvres livides étaient tordues en une espèce de sourire, et à travers leur mélancolique cadre, les dents de Bérénice, blanches, luisantes, terribles, me regardaient encore avec une trop vivante réalité. Je m’arrachai convulsivement du lit, et, sans prononcer un mot, je m’élançai comme un maniaque hors de cet appartement plein de mystère, d’horreur et de mort.

 

Je me trouvai de nouveau dans la bibliothèque, assis et seul. Il me semblait que je venais de me réveiller à la suite d’un rêve agité et confus. Je m’aperçus qu’il était bientôt minuit, et j’avais bien pris mes précautions pour que Bérénice fût enterrée après le coucher du soleil ; mais je n’ai pas gardé une intelligence bien positive ni bien définie de ce qui s’est passé pendant cette lugubre période. Cependant ma mémoire resta pleine d’horreur, horreur d’autant plus horrible qu’elle était plus vague, d’une terreur d’autant plus terrible que son objet n’était pas défini. C’est une page effrayante du registre de mon existence, écrite tout entière avec des souvenirs troubles, hideux et inintelligibles. Je m’efforçai de les déchiffrer, mais en vain, — pendant qu’à tout moment, comme l’âme d’un son envolé, l’écho grêle et perçant d’une voix de femme semblait résonner à mes oreilles. Il m’est arrivé quelque chose. Qu’est-ce que c’est ? Et les échos de la chambre me répondaient : Qu’est-ce que c’est ?