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Une bande de matelots, dont il faisait partie, débarqua à Bornéo et pénétra dans l’intérieur pour y faire une excursion d’amateurs. Lui et un de ses camarades avaient pris l’orang-outang. Ce camarade mourut, et l’animal devint donc sa propriété exclusive, à lui. Après bien des embarras causés par l’indomptable férocité du captif pendant la traversée, il réussit à la longue à le loger sûrement dans sa propre demeure à Paris, et, pour ne pas attirer sur lui-même l’insupportable curiosité des voisins, il avait soigneusement enfermé l’animal, jusqu’à ce qu’il l’eût guéri d’une blessure au pied qu’il s’était faite à bord avec une esquille. Son projet, finalement, était de le vendre.

Comme il revenait, une nuit, ou plutôt un matin, — le matin du meurtre, — d’une petite orgie de matelots, il trouva la bête installée dans sa chambre à coucher ; elle s’était échappée du cabinet voisin, où il la croyait solidement enfermée. Un rasoir à la main et toute barbouillée de savon, elle était assise devant un miroir, et essayait de se raser, comme sans doute elle l’avait vu faire à son maître en l’épiant par le trou de la serrure. Terrifié en voyant une arme si dangereuse dans les mains d’un animal aussi féroce, parfaitement capable de s’en servir, l’homme, pendant quelques instants, n’avait su quel parti prendre. D’habitude, il avait dompté l’animal, même dans ses accès les plus furieux, par des coups de fouet, et il voulut y recourir cette fois encore. Mais, en voyant le fouet, l’orang-outang bondit à travers la porte de la chambre, dégringola