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de ressemblance s’épaississaient, toujours plus pleines, plus définies, plus inquiétantes et plus affreusement terribles dans leur aspect. Car, que son sourire ressemblât au sourire de sa mère, je pouvais l’admettre ; mais cette ressemblance était une identité qui me donnait le frisson ; — que ses yeux ressemblassent à ceux de Morella, je devais le supporter ; mais aussi ils pénétraient trop souvent dans les profondeurs de mon âme avec l’étrange et intense pensée de Morella elle-même. Et dans le contour de son front élevé, et dans les boucles de sa chevelure soyeuse, et dans ses doigts pâles qui s’y plongeaient d’habitude, et dans le timbre grave et musical de sa parole, et par-dessus tout, — oh ! par-dessus tout, — dans les phrases et les expressions de la morte sur les lèvres de l’aimée, de la vivante, je trouvais un aliment pour une horrible pensée dévorante, — pour un ver qui ne voulait pas mourir.

Ainsi passèrent deux lustres de sa vie, et toujours ma fille restait sans nom sur la terre. Mon enfant et mon amour étaient les appellations habituellement dictées par l’affection paternelle, et la sévère reclusion de son existence s’opposait à toute autre relation. Le nom de Morella était mort avec elle. De la mère, je n’avais jamais parlé à la fille ; — il m’était impossible d’en parler. En réalité, durant la brève période de son existence, cette dernière n’avait reçu aucune impression du monde extérieur, excepté celles qui avaient pu lui être fournies dans les étroites limites de sa retraite.