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― Pendant quelques minutes, poursuivit ce dernier, ma seule impression, ― ma seule sensation, ― fut celle de la nuit et du non-être, avec la conscience de la mort. À la longue, il me sembla qu’une secousse violente et soudaine comme l’électricité traversait mon âme. Avec cette secousse vint le sens de l’élasticité et de la lumière. Quant à cette dernière, je la sentis, je ne la vis pas. En un instant, il me sembla que je m’élevais de terre ; mais je ne possédais pas ma présence corporelle, visible, audible ou palpable. La foule s’était retirée. Le tumulte avait cessé. La ville était comparativement calme. Au-dessous de moi gisait mon corps, avec la flèche dans ma tempe, toute la tête grandement enflée et défigurée. Mais toutes ces choses, je les sentis, ― je ne les vis pas. Je ne pris d’intérêt à rien. Et même le cadavre me semblait un objet avec lequel je n’avais rien de commun. Je n’avais aucune volonté, mais il me sembla que j’étais mis en mouvement et que je m’envolais légèrement hors de l’enceinte de la ville par le même circuit que j’avais pris pour y entrer. Quand j’eus atteint, dans la montagne, l’endroit du ravin où j’avais rencontré l’hyène, j’éprouvai de nouveau un choc comme celui d’une pile galvanique ; le sentiment de la pesanteur, celui de substance, rentrèrent en moi. Je redevins moi-même, mon propre individu, et je dirigeai vivement mes pas vers mon logis ; ― mais le passé n’avait pas perdu l’énergie vivante de la réalité, ― et maintenant encore je ne puis contraindre mon intelligence, même pour