Page:Poe - Histoires extraordinaires (1869).djvu/319

Cette page a été validée par deux contributeurs.

nière minutieuse qui le caractérisait, nous sommes maintenant sur la côte même de Norvège, au 68e degré de latitude, dans la grande province de Nortland et dans le lugubre district de Lofoden. La montagne dont nous occupons le sommet est Helseggen, la Nuageuse. Maintenant, levez-vous un peu ; accrochez-vous au gazon, si vous sentez venir le vertige, — c’est cela, — et regardez au delà de cette ceinture de vapeurs qui nous cache la mer à nos pieds.

Je regardai vertigineusement, et je vis une vaste étendue de mer, dont la couleur d’encre me rappela tout d’abord le tableau du géographe Nubien et sa Mer des Ténèbres. C’était un panorama plus effroyablement désolé qu’il n’est donné à une imagination humaine de le concevoir. À droite et à gauche, aussi loin que l’œil pouvait atteindre, s’allongeaient, comme les remparts du monde, les lignes d’une falaise horriblement noire et surplombante, dont le caractère sombre était puissamment renforcé par le ressac qui montait jusque sur sa crête blanche et lugubre, hurlant et mugissant éternellement. Juste en face du promontoire sur le sommet duquel nous étions placés, à une distance de cinq ou six milles en mer, on apercevait une île qui avait l’air désert, ou plutôt on la devinait au moutonnement énorme des brisants dont elle était enveloppée. À deux milles environ plus près de la terre, se dressait un autre îlot plus petit, horriblement pierreux et stérile, et entouré de groupes interrompus de roches noires.