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Comme il parlait, j’aperçus une lumière rouge, d’un éclat sombre et triste, qui flottait sur le versant du gouffre immense où nous étions ensevelis, et jetait à notre bord un reflet vacillant. En levant les yeux, je vis un spectacle qui glaça mon sang. À une hauteur terrifiante, juste au-dessus de nous et sur la crête même du précipice, planait un navire gigantesque, de quatre mille tonneaux peut-être. Quoique juché au sommet d’une vague qui avait bien cent fois sa hauteur, il paraissait d’une dimension beaucoup plus grande que celle d’aucun vaisseau de ligne ou de la Compagnie des Indes. Son énorme coque était d’un noir profond que ne tempérait aucun des ornements ordinaires d’un navire. Une simple rangée de canons s’allongeait de ses sabords ouverts et renvoyait, réfléchis par leurs surfaces polies, les feux d’innombrables fanaux de combat qui se balançaient dans le gréement. Mais ce qui nous inspira le plus d’horreur et d’étonnement, c’est qu’il marchait toutes voiles dehors, en dépit de cette mer surnaturelle et de cette tempête effrénée. D’abord, quand nous l’aperçûmes, nous ne pouvions voir que son avant, parce qu’il ne s’élevait que lentement du noir et horrible gouffre qu’il laissait derrière lui. Pendant un moment, — moment d’intense terreur, — il fit une pause sur ce sommet vertigineux, comme dans l’enivrement de sa propre élévation, — puis trembla, — s’inclina, — et enfin — glissa sur la pente.

En ce moment, je ne sais quel sang-froid soudain maîtrisa mon esprit. Me rejetant autant que possible