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Post-scriptum (par M. Ainsworth). — Ces neuf dernières heures ont été incontestablement les plus enflammées de ma vie. Je ne peux rien concevoir de plus enthousiasmant que l’étrange péril et la nouveauté d’une pareille aventure. Dieu veuille nous donner le succès ! Je ne demande pas le succès pour le simple salut de mon insignifiante personne, mais pour l’amour de la science humaine et pour l’immensité du triomphe. Et cependant l’exploit est si évidemment faisable, que mon seul étonnement est que les hommes aient reculé jusqu’à présent devant la tentative. Qu’une simple brise comme celle qui nous favorise maintenant, — qu’une pareille rafale pousse un ballon pendant quatre ou cinq jours (ces brises durent quelquefois plus longtemps), et le voyageur sera facilement porté, dans ce laps de temps, d’une rive à l’autre. Avec une pareille brise, le vaste Atlantique n’est plus qu’un lac.

Je suis plus frappé, au moment où j’écris, du silence suprême qui règne sur la mer, malgré son agitation, que d’aucun autre phénomène. Les eaux ne jettent pas de voix vers les cieux. L’immense Océan flamboyant au-dessous de nous se tord et se tourmente sans pousser une plainte. Les houles montagneuses donnent l’idée d’innombrables démons, gigantesques et muets, qui se tordaient dans une impuissante agonie. Dans une nuit telle qu’est pour moi celle-ci, un homme vit, — il vit un siècle de vie ordinaire, — et je ne donnerais pas ce délice ravissant pour ce siècle d’existence vulgaire.