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le cap Clear, à quarante milles vers notre nord, avant d’avoir pu assurer la verge d’acier et d’avoir eu le temps de penser à virer de bord. Ce fut alors que M. Ainsworth fit une proposition extraordinaire, mais qui, dans mon opinion, n’était nullement déraisonnable ni chimérique, dans laquelle il fut immédiatement encouragé par M. Holland, — à savoir, que nous pourrions profiter de la forte brise qui nous emportait, et tenter, au lieu de rabattre sur Paris, d’atteindre la côte du Nord-Amérique. Après une légère réflexion, je donnai de bon gré mon assentiment à cette violente proposition, qui, chose étrange à dire, ne trouva d’objections que dans les deux marins.

Toutefois, comme nous étions la majorité, nous maîtrisâmes leurs appréhensions, et nous maintînmes résolument notre route. Nous gouvernâmes droit à l’ouest ; mais, comme le traînage des bouées faisait un obstacle matériel à notre marche, et que nous étions suffisamment maîtres du ballon, soit pour monter, soit pour descendre, nous jetâmes tout d’abord cinquante livres de lest, et nous ramenâmes, au moyen d’une manivelle, toute la corde hors de la mer. Nous constatâmes immédiatement l’effet de cette manœuvre par un prodigieux accroissement de vitesse ; et, comme la brise fraîchissait, nous filâmes avec une vélocité presque inconcevable ; le guide-rope s’allongeait derrière la nacelle comme un sillage de navire. Il est superflu de dire qu’il nous suffit d’un très-court espace de temps pour perdre la côte de vue. Nous passâmes au-dessus