Page:Poe - Histoires extraordinaires (1869).djvu/18

Cette page a été validée par deux contributeurs.

au self-same, et il jouissait — cruel privilége dans une société amoureuse d’elle-même ! — de ce grand bon sens à la Machiavel qui marche devant le sage, comme une colonne lumineuse, à travers le désert de l’histoire. — Qu’eût-il pensé, qu’eût-il écrit, l’infortuné, s’il avait entendu la théologienne du sentiment supprimer l’Enfer par amitié pour le genre humain, le philosophe du chiffre proposer un système d’assurances, une souscription à un sou par tête pour la suppression de la guerre, — et l’abolition de la peine de mort et de l’orthographe, ces deux folies corrélatives ! — et tant d’autres malades qui écrivent, l’oreille inclinée au vent, des fantaisies giratoires aussi flatueuses que l’élément qui les leur dicte ? — Si vous ajoutez à cette vision impeccable du vrai, véritable infirmité dans de certaines circonstances, une délicatesse exquise de sens qu’une note fausse torturait, une finesse de goût que tout, excepté l’exacte proportion, révoltait, un amour insatiable du Beau, qui avait pris la puissance d’une passion morbide, vous ne vous étonnerez pas que pour un pareil homme la vie soit devenue un enfer, et qu’il ait mal fini ; vous admirerez qu’il ait pu durer aussi longtemps.


II


La famille de Poe était une des plus respectables de Baltimore. Son grand-père maternel avait servi comme quarter-master-general dans la guerre de l’indépendance, et la Fayette l’avait en haute estime et amitié. Celui-ci, lors de son dernier voyage aux États-Unis, voulut voir la veuve du général et lui témoigner sa gratitude pour les services que lui avait ren-