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longue, il prend congé, et met la main sur la lettre à laquelle il n’a aucun droit. La personne volée le vit, mais, naturellement, n’osa pas attirer l’attention sur ce fait, en présence du troisième personnage qui était à son côté. Le ministre décampa, laissant sur la table sa propre lettre, une lettre sans importance.

— Ainsi, dit Dupin en se tournant à moitié vers moi, voilà précisément le cas demandé pour rendre l’ascendant complet : le voleur sait que la personne volée connaît son voleur.

— Oui, répliqua le préfet, et, depuis quelques mois, il a été largement usé, dans un but politique, de l’empire conquis par ce stratagème, et jusqu’à un point fort dangereux. La personne volée est de jour en jour plus convaincue de la nécessité de retirer sa lettre. Mais, naturellement, cela ne peut pas se faire ouvertement. Enfin, poussée au désespoir, elle m’a chargé de la commission.

— Il n’était pas possible, je suppose, dit Dupin dans une auréole de fumée, de choisir ou même d’imaginer un agent plus sagace.

— Vous me flattez, répliqua le préfet ; mais il est bien possible qu’on ait conçu de moi quelque opinion de ce genre.

— Il est clair, dis-je, comme vous l’avez remarqué, que la lettre est toujours entre les mains du ministre ; puisque c’est le fait de la possession et non l’usage de la lettre qui crée l’ascendant. Avec l’usage, l’ascendant s’évanouit.