mesure que le fléau étendait ses ravages, nous apprîmes à attendre sans cesse l’annonce de la perte d’un ami. Enfin, l’approche d’un messager suffisait pour nous faire trembler. La brise du sud nous semblait imprégnée d’une odeur cadavéreuse.
Cette pensée atterrante finit même par s’emparer de mon âme. Je ne pouvais plus parler d’autre chose ; je ne pouvais plus ni penser, ni rêver à autre chose. Mon hôte, doué d’un tempérament moins facile à émouvoir, bien qu’il fût très-abattu lui-même, s’efforçait de relever mon moral. Son esprit, éminemment philosophique, ne se laissait jamais troubler par les non-réalités. Un sujet de terreur palpable ne le trouvait pas insensible ; mais les fantômes du danger ne lui causaient aucune appréhension.
Ses tentatives pour me tirer de l’accablement anomal auquel je me laissais aller furent rendues presque vaines par l’effet de certains ouvrages que j’avais découverts dans sa bibliothèque. Ces ouvrages étaient de nature à faire germer en moi toute semence de superstition héréditaire qui avait pu rester cachée dans les recoins de mon esprit. Comme je faisais ces lectures à son insu, il avait souvent peine à se rendre compte des visions qui venaient troubler mon imagination.