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— Vos opinions, dit-il, permettez-moi de vous le faire remarquer, baron Ritzner von Yung, quoique correctes en général, font, en plusieurs points délicats, peu de crédit à vous-même et à l’Université dont vous êtes membre. Dans certaines parties, elles sont même indignes d’une réfutation sérieuse. J’irais encore plus loin, si je ne craignais de vous offenser ; (ici, l’orateur sourit d’une façon affable) je dirais, Monsieur, que vos opinions ne sont pas celles que l’on est en droit d’attendre d’un homme d’honneur.

Comme Herrmann terminait cette phrase peu équivoque, tous les yeux se tournèrent vers le baron. Celui-ci devint pâle, puis excessivement rouge, puis laissant tomber son mouchoir, se baissa pour le ramasser. Je parvins alors à apercevoir sa figure, au moment où elle ne pouvait être vue d’aucune autre personne autour de la table. Sa physionomie rayonnait de cette expression sardonique qui était naturelle au baron, mais que je n’avais jamais surprise en lui que quand il était seul avec moi et qu’il se détendait librement. Un instant après, il était debout, toisant Herrmann.

Jamais auparavant, certes, je n’ai assisté à une altération de traits plus entière en un temps aussi court. Je m’imaginai même un moment que je m’étais trompé et que le baron était terriblement en son sérieux. Il semblait étouffer de rage, et sa face était d’une blancheur cadavérique. Pendant quelque temps, il demeura silencieux, s’efforçant visiblement de maîtriser son émotion. Ayant enfin réussi en apparence, il saisit une carafe qui était près de lui, disant comme il la tenait fermement :