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combinaison de traits humains, même la plus complexe, figurant si parfaitement et si exclusivement l’idée de la solennité, du calme, de la gravité inaltérable.

On aura vu sans doute par ce que j’ai déjà dit, que le baron était une de ces anomalies humaines que l’on rencontre de temps à autre et qui font de la mystification l’étude et l’affaire de leur vie. De cette science, un tour d’esprit particulier lui avait d’instinct assuré le don, tandis que son apparence physique le fournissait pour la pratiquer, de facilités peu communes. Je crois fermement qu’aucun étudiant, pendant l’époque fameuse si curieusement nommée « l’ère du baron Ritzner », ne pénétra à vrai dire le secret de cette étrange nature. Je pense réellement que personne à l’université, hors moi, n’a cru mon ami capable d’une plaisanterie de mots où d’action. Le vieux bull-dog à la grille du jardin en eût plutôt été accusé, ou l’esprit d’Héraclite, ou la perruque du professeur de théologie. Et cela, quand il était visible que les plus excellents et les plus impardonnables de tous les tours possibles, les plus bizarres et les plus bouffons, étaient mis en train, sinon par lui, tout au moins par son fait, et avec sa complicité indirecte.

La beauté, si je puis ainsi m’exprimer, de son art de mystificateur, était dans son habileté consommée (résultat d’une connaissance presque intuitive des hommes, et d’un sang-froid surprenant,) par laquelle il ne manquait jamais à faire paraître que les drôleries qu’il s’occupait à mener à point, se produisaient, soit malgré lui, soit par suite de ses efforts pour les prévenir, pour préserver