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Pas de réponse, je vous prie ; il suffit qu’une seule personne parle à la fois. J’aurai fini dans quelque temps, et alors vous pourrez commencer. Comment diable, Monsieur, êtes-vous arrivé en cet endroit ? — Pas un mot, je vous en supplie. J’ai été ici quelque temps moi-même. Un terrible accident, vous en avez entendu parler, je présume ? — une horrible calamité, — en passant sous vos fenêtres, il y a peu de temps, vers l’époque où vous avez été pris de théatromanie, — un affreux malheur, — avez-vous jamais entendu dire qu’on pût attraper le souffle de quelqu’un, hein ? — Tenez votre langue, vous dis-je. — Eh bien moi, j’ai attrapé le souffle de quelqu’un. J’avais toujours eu trop du mien déjà ; j’ai rencontré De Blaterer au coin de la rue ; il ne me laissa pas le temps de placer un mot ; pas possible d’intercaler une syllabe, même de tranche. Je fus donc pris d’épilepsie ; De Blaterer s’enfuit ; que le diable emporte tous les fous ! On me releva pour mort et me mit dans cet endroit. Une belle affaire qu’ils ont faite là. Ai entendu tout ce que vous avez dit sur mon compte ; autant de mots autant de mensonges. Horrible, étonnant, stupéfiant, affreux…

Il est impossible de concevoir ma surprise quand on me tint ce discours si inattendu, ou la joie avec laquelle je me convainquis peu à peu que le souffle heureusement attrapé par mon interlocuteur (en qui je reconnus bientôt mon voisin, Soufflassez) était juste celui que j’avais moi-même perdu dans ma conversation avec ma femme. Le lieu, le temps, les circonstances mettaient la chose hors de doute. Cependant je ne relâchai pas immédiate-