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quer, une fois proférée, de la convaincre de son insignifiance, — quand, à mon horreur et étonnement extrêmes, je découvris que j’avais perdu le souffle.

Les phrases, « le souffle me manque », ou « j’ai perdu le souffle » etc., se répètent assez souvent dans la conversation usuelle ; mais je ne m’étais jamais imaginé que cette terrible infortune, dont on parle tant, pût réellement et bona fide se produire. Imaginez donc, si vous avez un tour d’esprit imaginatif, imaginez, dis-je, mon étonnement, ma consternation, mon désespoir.

Il y a cependant un bon génie qui ne m’abandonne jamais. Dans mes colères les plus furieuses je garde toujours un certain sens du convenable, et « le chemin des passions », comme dit Lord Edouard dans la Nouvelle Héloïse, « me conduit à la philosophie véritable ».

Quoique je ne fusse pas arrivé à me rendre compte tout d’abord de l’étendue précise de mon malheur, je résolus à tout hasard de cacher la chose à ma femme, et d’attendre que des expériences plus approfondies m’eussent éclairé sur la calamité qui m’était échue. Changeant donc de physionomie, dépouillant soudain mes traits de leur bouffissure colère, prenant un air de bénignité coquette et insigne, je donnai à ma moitié une caresse sur une joue, un baiser sur l’autre ; puis sans dire un mot de plus (ô rage, je ne le pouvais pas !) je la laissai surprise de ma drôlerie, et pirouettai hors de la chambre en un pas de zéphir.

Me voici donc sain et sauf, soustrait aux regards, caché dans mon cabinet, exemple terrible des suites