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Cependant les tortures que j’avais souffertes étaient égales assurément, sauf pour la durée, à celles qu’éprouverait un homme enterré vif. Elles avaient été effroyables, au delà de toute idée. Mais le bien sortit du mal. Car l’excès même de ces tourments produisit en mon esprit une révulsion inévitable. Mon âme prit du ton, de la fermeté. J’allai à l’étranger, je m’adonnai à de rudes exercices. Je portai ma pensée sur d’autres sujets que la mort. Je me débarrassai de mes livres de médecine. Je brûlai Buchan. Je ne lus plus de Pensées nocturnes, plus de galimatias sur les cimetières, plus de contes de nourrice comme celui que je viens d’écrire. Bref, je devins un homme nouveau et je vécus de la vie de tous. Depuis cette nuit mémorable, je renvoyai à jamais mes appréhensions funèbres, et avec elles partirent mes accès de catalepsie, qui avaient été peut-être moins la cause que la conséquence de mon tour d’esprit.

Il y a des moments où, même aux yeux de la raison froide, notre triste monde peut prendre l’aspect d’un enfer. Mais l’imagination de l’homme n’est pas une Carathis pour explorer impunément tous les abîmes. Ses terreurs sépulcrales, légion redoutable, ne peuvent, hélas ! être tenues pour purement fictives. Mais comme les démons avec lesquels Afrasias descendit l’Oxus, il est nécessaire que ces effrois dorment ou qu’ils nous dévorent, qu’on les laisse sommeiller ou qu’on se résigne à périr.