littéraires de l’époque. Le Charivari avait traduit et publié sans nom d’auteur le Meurtre de la rue Morgue. Quelques années après, le Commerce reprit cette nouvelle et la donna sous un nouveau titre, L’Orang-Outang. Un troisième journal, la Quotidienne pénétra cette supercherie, et imprima à son tour le Meurtre. Il y eut, entre ces deux dernières feuilles, un procès où la Quotidienne fut amenée à prouver que le conte en litige, n’était ni original, ni publié pour la première fois dans le Commerce, mais bien traduit de l’anglais de Poe. L’attention publique avait retenu ce nom. Mme Isabelle Meunier profita de la notoriété qu’il venait d’obtenir et mit en français les plus bizarres des Histoires extraordinaires. Après elle, Baudelaire les reprit. Ses traductions méritent et ont reçu toutes les louanges. En aucune autre occasion, la langue française n’a été plus magistralement tendue et surmenée de façon à acquérir la richesse, la force abrupte, le mystère, le ton voilé et fantastique des œuvres imaginatives anglaises.
Baudelaire lut la biographie de Griswold. Il sut y reconnaître le langage acrimonieux et les accusations improbables d’un calomniateur. Il s’en défia et se fit d’imagination le Poe qui lui convenait. Il nia ou passa sous silence les plus grosses charges proférées par Griswold, celles de plagiat, d’indélicatesse, d’abus de confiance. Il admit celle d’ivrognerie, en l’expliquant d’une façon ingénieuse et romanesque. Par lui, la pratique de ce vice chez le nouvelliste américain devint une sorte de suicide prémédité, une méthode de travail meurtrière, un acte intentionnel, libre, profitable. Baudelaire commettait par cette interprétation une double inconséquence, oubliant les théories de Poe et les siennes sur le travail du littérateur. Avant de faire passer l’auteur de Marie Roget pour un inspiré, composant dans le saisissement de l’enthousiasme, il aurait dû songer qu’il