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ailes noires et ombreuses mon éternelle idée sépulcrale.

Parmi les innombrables images de deuil qui m’oppressèrent ainsi en songe, je prends, pour la rappeler, une vision unique.

Je me crus saisi une fois d’une attaque de catalepsie de durée et d’intensité plus qu’ordinaires. Tout à coup une main froide vint sur mon front, une voix impatiente et chevrotante murmura les mots : « Lève-toi, » à mon oreille.

Je me dressai sur mon lit, et, l’obscurité étant totale, je ne pus voir la figure de celui qui m’éveillait. Je n’arrivais pas à me rappeler à quelle époque j’étais tombé en catalepsie, ni l’endroit où j’étais alors couché. Comme je demeurais sans mouvement, et m’occupais à rassembler mes pensées, la main froide me saisit durement au poignet et la voix chevrotante reprit :

— Lève-toi. Ne t’ai-je pas dit de te lever ?

— Et qui es-tu ? demandai-je.

— Je n’ai pas de nom dans les régions que j’habite, répliqua la voix lugubre. J’étais mortel, et suis un esprit ; j’étais sans pitié, et suis compatissant. Tu sens que je tremble. Mes dents, pendant que je parle, claquent. Et cependant ce n’est pas du froid de la nuit, de la nuit sans fin. Mais cette horreur est insupportable. Comment peux-tu dormir tranquille ? Je ne puis me reposer à cause de la clameur de ces grandes agonies, et les voir est plus que je ne puis supporter. Lève-toi. Viens avec moi dans la nuit extérieure et laisse-moi te découvrir les tombes. N’est-ce pas une vue pitoyable ? Regarde !

Je regardai. La figure invisible qui me tenait encore