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tement que l’accès avait été soudain. Comme le jour point pour un mendiant errant sans demeure et seul pendant les longues nuits d’hiver, aussi tardive, aussi réconfortante renaissait en moi la lumière de l’âme.

À part ces attaques, ma santé générale paraissait bonne, et je ne pouvais m’apercevoir qu’elle déclinât par mon mal, à moins que celui-ci ne fût cause d’une sorte d’idiosyncrasie qui me prenait pendant mon sommeil ordinaire. En me réveillant le matin, je ne parvenais jamais à reprendre immédiatement la pleine possession de mes sens. Je demeurais toujours en grand effarement et perplexité, mes facultés mentales, et particulièrement ma mémoire, tardant à m’obéir.

Toutes mes sensations, libres d’ailleurs de souffrance physique, étaient pénétrées d’une infinie détresse morale. Ma fantaisie se prit à hanter les charniers. Je parlais de tombeaux, d’épitaphes, de décomposition. Je me perdais en rêveries funèbres, et la pensée d’être enterré vif régnait en maître dans mon cerveau. Le danger horrible auquel j’étais exposé, je m’en souvenais jour et nuit, torture excessive dans l’un, suprême dans l’autre. Quand l’obscurité pleine d’épouvantes tombait sur terre, alors, de toutes les horreurs de la pensée, je tremblais, comme les plumes sombres qui vacillent aux quatre coins d’un corbillard. Quand je ne pouvais plus endurer la veille, il me fallait lutter pour me contraindre à dormir, car je frissonnais en me disant qu’à mon réveil, je pouvais me trouver clos dans une tombe. Et quand enfin je cédais au sommeil, ce n’était que pour tomber dans un monde de fantômes où planait seule sur ses