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vice, ses défaillances, son incapacité d’application, sa délicatesse extrême dans les rapports d’affaires, son défaut d’amis influents, son incorruptibilité de critique ; le souci pour les siens devait le rendre plus attentif à ces manquements. Il avait sous les yeux l’exemple instructif d’un peuple pratique, mercantile, et était aiguillonné par ses goûts dispendieux d’artiste, par la vue de ce que pratiquaient ses rivaux infimes. Mais son caractère ne plia pas sous ces influences et resta tel qu’il avait été dès ses débuts. Sa volonté ne devint pas plus tenace, ni son sens plus pratique, ni sa délicatesse et sa franchise moindres, ni son optimisme intermittent moins assuré. Les circonstances défavorables n’agirent sur lui que pour exagérer certains traits de son individualité, mais n’en ajoutèrent pas de nouveaux. De généreux, d’inconstant, de capricieux, d’impressionnable, d’aimant, il ne devint ni cupide, ni bas, ni égoïste, ni vénal, mais simplement plus impressionnable et plus aimant qu’il ne l’eût été dans de meilleures chances. Peut-être est-ce là, en définitive, la mesure exacte de l’influence du milieu sur les individus.

Il resterait à parler maintenant d’Edgar Poe, nouvelliste ou poète, et l’on pourrait se trouver étonné de la distance que l’on apercevrait entre son intelligence pure et sa raison pratique. Mais cette analyse nous ferait dépasser les limites extrêmes d’une préface et nous paraît moins utile que celle que nous terminons. Les maladies de l’intelligence nous sont infiniment plus familières depuis M. Taine, que celles de la volonté. Nous avons voulu nous en tenir à la seule biographie d’Edgar Poe. Celui-ci avait été condamné et absous sans mesure. Nous ne pensons pas qu’il y ait autre chose à blâmer ou à louer en un homme que le mal ou le bien qu’en ont éprouvé d’autres hommes. Pour Poe, il nous semble qu’il n’a nui qu’à lui-même, et nous lui restons re-