Page:Poe - Contes grotesques trad. Émile Hennequin, 1882.djvu/47

Cette page a été validée par deux contributeurs.

ment le faire prendre pour chacun de ces types. Il vécut par là plus largement et plus douloureusement.

Cette versatilité morale lui fit n’avoir d’affection que pour des femmes, moins le génie ses semblables, douées comme lui d’une volonté forte, mais peu fixe, et insoumises par leur sensibilité à l’élément régulateur de la vie, à l’expérience. Il eut plusieurs amies qu’il tâcha de se retenir avec une application singulière, trouvant, dans leur commerce la satisfaction des besoins caractéristiques des natures impressionnables.

Par tempérament, il ne pouvait renfermer en lui ses sensations trop violentes. Il éprouvait une volupté extrême à s’épancher, non comme le fait la moyenne des hommes, avec des formes, de la vanité, des dissimulations, de nombreuses réticences, en montrant plus son intelligence que ses passions, mais pleinement, étalant sa pensée à nu, négligeant même d’écrire ou de parler en beau style, et de cacher sa faiblesse, sans songer qu’on pût le mépriser, ou malgré cette crainte. Et pour cette franchise, cette démonstration de soi, il lui fallait assurément une femme, un être plus affectueux qu’intellectuel, désœuvré, capable de l’excuser par le goût même de ces confidences.

Il lui fallait encore quelqu’un qu’il pût aimer, pour qui il pût éprouver de l’enthousiasme, de la dévotion, aux pieds de qui il pût se mettre. Ces élans le sortaient et le distrayaient de lui-même. Il ne pouvait, je le répète, vivre seul, se concentrer, se tenir à l’écart, en égoïste, en misanthrope, en penseur autonome. Il se trouvait ainsi fréquemment entraîné à offrir son intérêt et son amour, s’adressant comme de juste à des femmes qui seules inspirent et satisfont les mouvements d’âme extrêmes. Les circonstances de sa vie exacerbèrent ces penchants, rendant leur satisfaction difficile et rare. La pauvreté le contraignit à lutter sans