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de conduite. Rien n’était plus éloigné de son esprit, malgré ses théories sur la perversité, qu’un grand mépris préalable de l’humanité en général. Il se livrait sans choix et tout entier à toute personne et particulièrement à toute femme qui l’approchait. Ses articles de critique se sont ressentis de cette humeur généreuse, élogieux ou injustes avec excès. Ses polémiques, de même. Il était si imbu de respect pour ses semblables, qu’il ne dédaignait aucun contradicteur, se croyant tenu de réfuter tout argument, avec une foi puérile dans la docilité de ses adversaires.

On aura remarqué à quel point Poe était affecté par la condition d’incertitude. Le suspens entre la crainte et l’espoir lui était insupportable, tellement que pour s’y soustraire, il se livra et s’abandonna au vice qui le détruisit. Ses périodes d’excès tombent aux époques où le sentiment de sa situation précaire l’obsédait de plus près, celles où il n’avait pas d’emploi fixe, de revenu sûr, où sa subsistance et celle des siens dépendait du placement hasardeux de ses articles, insérés irrégulièrement, payés d’un prix variable, à la date convenue ou non. Par contre, lors de ses plus profondes douleurs, à la mort de sa femme, à la rupture définitive de ses fiançailles avec Mme Whitman, on ne nous dit pas qu’il ait bu. Cette ivresse de Poe, était une ivresse bizarre. Tous ceux qui en ont été témoins la décrivent comme un délire, une folie furieuse temporaire. L’alcool agissait sur sa cervelle non comme un calmant qui apaise et hébète, qui noye toute mémoire morose, mais comme un excitant qui brouillait sa raison, exaltait et surtendait sa volonté, décuplait son énergie. Il y trouvait un supplément de forces plutôt qu’un moment d’inconscience, et n’y recourait que débordé par les accidents multiples, constamment désastreux, de sa vie sans repos.

On aperçoit clairement le point morbide de cette organi-