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sère, sans que le souvenir d’une suite continuelle d’échecs affaiblît ses illusions. Et cette ardeur à espérer se révèle particulièrement dans la ténacité avec laquelle il s’imagina pouvoir dompter son penchant à la boisson. Il répétait sérieusement ses promesses de continence et à chacune s’estimait sauvé. Comme la vie lui fut habituellement contraire, il eut peu l’occasion de se montrer abattu sans motif. Cependant rien ne justifiait le ton éploré de ses premières lettres à Mme Whitman, et peut être est-il juste de penser que les circonstances où il pouvait être n’influaient que médiocrement sur son humeur, à l’encontre de l’habitude et de l’expérience des autres hommes. Dès sa jeunesse, ses camarades avaient observé en lui ce tour d’esprit changeant, volontaire, capricieux, des désirs subits, énergiques, mais peu durables, variant facilement d’objet, et en variant pour des motifs qui n’agissent pas sur la moyenne des hommes. Ces oscillations de caractère ont persisté toute sa vie. On peut en dériver quelques-unes des singularités de sa conduite, ses migrations de ville en ville, de journal en journal, ses projets éternellement abandonnés et repris, le peu d’endurcissement avec lequel il pratiqua son vice, l’instabilité générale de sa vie pleine de tentatives sans achèvements. Dans sa carrière d’écrivain, il s’appliqua à des genres peu compatibles, et, même dans l’un, la nouvelle, il n’écrivit pas de suite des œuvres qui semblent inséparables. Le Meurtre de la Rue Morgue est de 1841 ; la Lettre volée, de 1845 ; le Domaine d’Arnheim, de 1842, le Cottage Landor, de 1849.

Il eut souvent une confiance précipitée en des inconnus, et c’est peut-être là, en fin de compte, ce qui lui fit nommer Griswold son exécuteur testamentaire. Il s’abandonnait à ses sympathies et à ses antipathies avec passion. Il se commit ainsi avec un certain nombre de personnes équivoques qui nuisirent plus à sa mémoire que tous ses écarts