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où il était venu faire une conférence. Une parente de Mme  R., miss Heywood, a publié quelques souvenirs sur cette visite. Poe y est représenté comme un homme de taille moyenne, parfaitement proportionné, d’un port « royal. » « Son regard dit miss Heywood, était clair et triste. Sa voix était si basse qu’elle paraissait retentir de très-loin. » Mme  Gove Nichols et d’autres ont remarqué cette voix singulière de Poe. Quand il discutait, il l’étouffait encore, de sorte que ses contradicteurs devaient se taire s’ils voulaient l’entendre. « Il souriait peu et ne riait jamais. » Miss Heywood relève encore sa grande et gracieuse courtoisie. « Quand il partit, écrit-elle, il prit congé de moi comme l’aurait fait un roi. »

Poe, après la rupture de son mariage, était revenu à Fordham. Il écrivit souvent à Mme  R. : ses lettres que nous communique M. Ingram vont du 16 Novembre 1848 au 16 juin 1849. Son besoin d’attachement, l’instinct qui le portait vers la société des femmes, s’étaient aigris et exagérés par l’âge, par le sentiment de la solitude, si dur quand les forces déclinent, par ses afflictions récentes, sa misère, l’affaiblissement de son talent. Il s’attacha à cette dernière amitié avec une obstination tenace, y mettant plus qu’il ne lui était rendu, ne se laissant pas rebuter, se disculpant sans cesse des accusations qui le calomniaient auprès de Mme  R. On retrouve dans ses lettres l’humeur fantasque de l’artiste, passant d’un optimisme subit à une tristesse sans cause immédiate. Sa dévotion à son amie nous paraît celle d’un enfant. Le ton de toute la correspondance est familier, confiant, attristé ; le discours prolixe, décousu, se répétant, chargé de points d’exclamation, de mots soulignés, dénué de tout style, ne portant pas trace de cette science profonde du mot significatif, qui apparaît dans les écrits travaillés du nouvelliste. Il est plus triste d’y constater que Poe oubliait quelquefois