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extravagant, singulier chez un homme dont l’infortune avait été perpétuelle ; la certitude de s’amender, de posséder bientôt une gloire et des richesses énormes ; une incohérence d’homme divaguant de joie, puis appréhendant un revers et passant sans cesse, dans des coups de folie, de l’espoir à l’épouvante. On y trouve un discours lâche, redondant, plein d’apostrophes, d’exclamations, de signes de ponctuation suppléant le mot précis, des idées constamment extrêmes, des plans d’avenir insensés, de la superstition, une déférence puérile pour Mme Whitman, en somme le ton de celui des deux amants qui se met aux pieds de l’autre.

Nous citons littéralement quelques passages de ces curieuses lettres :


« Mais maintenant une terreur mortelle m’oppresse, écrit Poe en octobre ; je m’aperçois que ces objections si peu motivées, si futiles… je tremble qu’elles ne servent à en masquer d’autres plus graves que vous hésitez, peut-être par pitié, à me dire.

« Hélas, je m’aperçois trop clairement aussi qu’en aucun endroit vous ne vous êtes laissée aller à me dire que vous m’aimez. Vous savez, ma douce Hélène, que de mon côté il y a des raisons insurmontables m’interdisant de vous imposer mon amour. Si je n’étais pas pauvre, si mes erreurs passées et mes excès ne m’avaient abaissé justement dans l’estime des honnêtes gens, si j’étais riche ou si je pouvais offrir la considération du monde, — oh alors, — alors, combien je serais fier de persévérer, — et de plaider pour mon amour !

« Ô Hélène ! mon âme ! qu’est-ce que je viens de vous dire ? À quelle folie vous ai-je poussée ? — Moi, qui ne vous suis rien, — Vous, qui avez une mère et une sœur chérie que vous pouvez rendre heureuses par votre amour