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autre, qu’il passa à supplier la jeune veuve de toute son éloquence. Mme Whitman n’osait se refuser. À la seconde visite, elle lui montra des lettres de New-York, qui la dissuadaient de lui accorder sa main. Poe comprit et s’en alla, envoyant à Mme Whitman quelques heures plus tard, sa renonciation par écrit. Mais il ne put supporter sa déception. Il recourut à l’alcool, son dispensateur accoutumé de forces morales. Il passa dans un hôtel de Providence une nuit d’orgie, s’enivrant et se surexcitant à délirer. Au point du jour, ayant perdu l’esprit, mais ressentant encore la cause de sa douleur, il arriva chez Mme Whitman, se mit à l’appeler, à l’implorer. « Sa voix résonnait par la maison avec des inflexions effrayantes. Je n’ai jamais rien entendu de si terrible, » dit Mme Whitman, racontant cette scène. Elle se résolut à le voir, le calma comme elle put, le releva car il s’était jeté à genoux devant elle, le fit conduire dans une maison amie. Un docteur, qui l’y examina, lui trouva les diagnostiques d’une congestion cérébrale, la maladie dont il mourut une année après.

Cette scène a servi de prétexte à un des mensonges de Griswold. Celui-ci affirme en effet, et Baudelaire après lui, que le mariage de Mme Whitman et de Poe avait été rompu à la suite des excès scandaleux de ce dernier, déplaçant ainsi simplement la date de la scène à laquelle il fait allusion et la mettant après les fiançailles, et non avant.

En effet, Mme Whitman, malgré son entourage, se laissa gagner par les supplications de Poe et lui promit de devenir sa femme, à condition qu’il ne boirait jamais plus. Il le promit, repartit pour New-York et la correspondance recommença. M. Ingram en a communiqué les lettres. Elles donnent vue sur un état intellectuel unique. Elles marquent chez Poe une passion excessive, dépouillée de réserves, sans réticences, oublieuse de tout amour-propre ; un optimisme