Page:Poe - Contes grotesques trad. Émile Hennequin, 1882.djvu/281

Cette page a été validée par deux contributeurs.


LXXXVII


Tous ceux qui commentent Shakespeare tombent dans une erreur radicale que l’on n’a jamais relevée. C’est celle de tenter l’explication de ses personnages, de donner les motifs de leurs actions, de concilier leurs inconsistances, non pas comme s’ils étaient le produit de l’esprit humain, mais comme s’ils avaient existé réellement sur terre. Nous dissertons ainsi sur un Hamlet homme, et non pas sur un Hamlet dramatis persona, sur un Hamlet créé par Dieu, non sur un Hamlet créé par Shakespeare. Si le prince danois avait réellement existé, si le drame était un récit exact de ses faits et gestes, nous pourrions par ce récit, avec quelque peine, il est vrai, mais enfin, nous pourrions accorder les antinomies de son caractère, fixer à notre satisfaction sa vraie structure morale. Mais cette tâche devient une pure absurdité quand nous songeons que nous peinons sur une ombre. Ce ne sont pas les inconséquences de l’homme agissant que nous avons à discuter (quoique nous fassions comme s’il en était ainsi, errant de cette façon, inévitablement) mais les bizarreries, les vacillations, les énergies et les indolences se combattant, du poëte même. Il nous semble qu’il est presque miraculeux que ce point manifeste soit resté inaperçu.