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Ce fut l’instinct, plutôt que la claire intelligence de ce charme, qui conduisit le poète à ajouter à la similitude, à l’égalité de deux sons, une seconde relation, faite pour augmenter l’effet de la première, celle de placer les rimes à une distance fixe, c’est à dire à l’extrémité de vers de longueur égale. De cette façon, rime et fin de vers devinrent deux idées connexes, et, le principe ayant été perdu de vue, conventionnelles. On plaça parfois la rime à des intervalles irréguliers ; mais ce fut simplement parce qu’avant qu’elle ne fût inventée, on connaissait les vers pindariques qui se succèdent inégaux d’étendue ; c’est pour cette raison, dis-je, et pour aucune autre plus profonde. On était arrivé à regarder la rime comme appartenant de droit à la fin du vers.

Nous déplorons qu’on ne soit resté là. Il est clair que l’on pouvait imaginer de nouvelles dispositions de la rime. Le sens d’égalité était seul mis à contribution, ou si cette égalité avait légèrement varié, ce n’avait été que par accident. La rime est ainsi toujours prévue d’avance. L’œil courant à la fin du vers, qu’il soit court ou long, y cherche la syllabe que l’oreille sait devoir retentir. La part de l’inattendu, de la nouveauté, de l’originalité, personne n’y songeait. « Or, dit Lord Bacon, — avec quelle justesse ! — il n’y a pas de beauté exquise sans quelque étrangeté dans les proportions. » Ôtez cet élément étrange, inattendu, nouveau, original, (appelez-le comme vous voudrez), et tout le charme idéal de la beauté disparaîtra du coup. Nous perdons l’inconnu, le vague, l’incompris, ce que nous n’avons le temps ni d’examiner ni de scruter, et nous en ressentons le manque. Nous perdons, en