Page:Poe - Contes grotesques trad. Émile Hennequin, 1882.djvu/267

Cette page a été validée par deux contributeurs.

de bonheur qu’elle n’en a eu, dans une existence différente de celle qui lui est échue et se refuse pour cette raison à revivre sa vie, mais non pas celle de quelque autre, — ou s’il entend que toute personne âgée ayant à choisir, à sa dernière heure, entre la mort et la faculté de revivre son ancienne vie, préférerait mourir. La première version est vraie, peut-être, mais la seconde (qui est la juste,) est douteuse et ne suffit pas, même si on l’admet, à prouver que le mal dans la vie surpasse le bien.

On nous demande d’accorder que toute vieille personne refuse de recommencer sa vie, parce qu’elle sait que le mal y a surpassé le bien. L’erreur est dans le mot « sait, » dans la présomption que jamais l’on puisse posséder cette connaissance absolue, à laquelle il est fait obscurément allusion. C’est justement la connaissance apparente, mensongère, de ce qu’a été la vie déjà écoulée, qui rend incapables les vieillards de décider du bonheur ou du malheur de leur passé. Ils considèrent une vie hypothétique, secondaire, quand ils affirment de la vie véritable, originale, que le mal ou le bien y a prédominé. Dans leur estimation, ils ne rêvent que les événements, et ne tiennent nul compte de cette espérance irrépressible qui éclairait tout de ses lueurs roses. La vie véritable de l’homme est heureuse, parce qu’il s’attend toujours à ce qu’elle le soit bientôt. Mais quand nous considérons la vie qui a passé, nous en obtenons une image déformée, nous nous représentons de froides certitudes au lieu de chaudes attentes, des douleurs qui eussent été quadruplées si nous les avions prévues. Nous ne pouvons nous empêcher de penser ainsi, que nous tendions notre imagination comme