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revenu fixe, et tomba dans la misère. Il essaya, comme à Philadelphie, de se tirer d’embarras par des articles plus nombreux. Il entreprit dans un Magazine une série de portraits qu’il appela les Littérateurs de New-York. L’acerbité des jugements émis dans ces petites pièces augmentèrent le nombre de ses ennemis et ne firent gagner beaucoup d’argent qu’à son éditeur.

Poe vécut ainsi quelque temps, jusqu’à l’été de 1846 ; il était allé demeurer à la campagne à Fordham Cottage, tout près de la ville. Son énervement, l’attrait de la boisson accru par ses inquiétudes, le subjuguèrent de nouveau. Il se remit à boire, et n’eut plus la force d’écrire. Sa femme était tombée malade à ne plus guérir. La phtisie qui la minait était arrivée à la période aigüe, et elle dut s’aliter. Mme Poe était une femme mince, avec de longs cheveux noirs, de grands yeux noirs aussi, les traits fins, le teint extrêmement pur, la taille svelte et haute. Elle était timide, très-douce, parlait peu et avait l’air d’une petite fille. Poe tenait à elle éperdûment, mû par ce besoin de société féminine, qui le tourmenta toute sa vie. Cette rechute de la malade, l’approche de la catastrophe, le mirent hors de lui. Il but davantage encore, et tomba dans une pauvreté extrême.

Sur cette époque de sa vie, subsistent les souvenirs d’une Mme Gove-Nichols, bas-bleu excentrique qui visita deux fois Poe à Fordham Cottage. Elle raconte l’histoire lamentable d’une promenade où l’artiste, par une témérité d’enfant, voulut sauter un grand fossé et finit de déchirer ainsi sa dernière paire de souliers. Poe montra beaucoup de confiance à cette femme, lui disant toutes ses pensées, s’ouvrant à elle comme s’il l’eût beaucoup connue. Son besoin d’épanchement le poussa ainsi plusieurs fois à n’être ni difficile ni long dans le choix de ses confidents.