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contraindre à venir. Mais ces conditions propices n’en demeurent pas moins rares ; sans quoi j’aurais déjà fait descendre le ciel sur la terre.

Je suis arrivé ensuite à empêcher que le point, dont j’ai parlé, le point de passage entre le sommeil et l’éveil ne s’effaçât, à empêcher à volonté, dis-je, que ce point ne fût effacé par le sommeil. Non pas que je puisse prolonger mon extase, faire qu’un point soit plus qu’un point ; mais je puis, quand mes visions me quittent, retourner en éveil, les fixer ainsi dans le domaine de la mémoire, transporter mes impressions ou, à plus proprement parler, leur souvenir, de telle sorte, que pendant un court espace de temps, il m’est donné de les passer en revue, de les soumettre à l’analyse. Étant arrivé jusque là, je ne désespère pas tout à fait de mettre en paroles une partie de mes visions suffisante pour produire la conception crépusculaire de leur nature chez un certain ordre d’intelligences. Il ne faut pas croire, quand je parle ainsi, que je suppose ces fantaisies, ces impressions psychiques bornées à moi-mêmes, étrangères à toute l’humanité ; car sur ce point, il est absolument impossible que je sache rien. Mais on peut tenir pour certain qu’un récit même imparfait de mes visions ferait sursauter l’intelligence universelle de l’humanité par la nouveauté des choses décrites, et par les pensées qu’elles suggéreraient. En un mot, si je devais jamais traiter ce sujet, le monde serait forcé de reconnaître que finalement j’ai fait une œuvre originale.