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crevées. Mais quelques semaines après, la chose nous fut expliquée. Comme nous arrivions à un étranglement de la rivière, où les bords étaient escarpés, et l’eau profonde, nous vîmes un grand troupeau de buffles qui nageaient à travers le fleuve. Nous nous arrêtâmes pour observer comment ils feraient. Ces gros animaux descendaient diagonalement le courant. Ils étaient entrés dans l’eau, à une gorge, un demi-mille plus haut, où le bord s’abaissait jusqu’au niveau du fleuve. Quand ils atteignirent la rive occidentale, ils trouvèrent impossible d’y prendre pied, l’eau étant trop profonde. Après avoir fait de grands efforts pour escalader la berge limoneuse et glissante, les buffles se retournèrent et nagèrent vers la rive opposée, où l’escarpement était le même, aussi inaccessible que de l’autre côté. Ils y répétèrent leurs tentatives, mais en vain. Ils retraversèrent alors une seconde fois la rivière, puis une troisième, puis une quatrième, puis une cinquième fois, s’obstinant toujours à vouloir aborder aux mêmes endroits. Au lieu de se laisser porter plus bas par le courant, à la recherche d’un atterrissage plus facile, (ils auraient pu en trouver un à un quart de mille en deçà), ils semblaient s’entêter à se maintenir où ils étaient, et, dans ce but, nageaient à angle aigu avec le fil de l’eau, faisant les plus violents efforts pour ne pas être entraînés plus bas. À la cinquième traversée, les pauvres bêtes étaient entièrement épuisées ; il était évident qu’elles n’en pouvaient plus. Elles prirent alors un terrible élan pour grimper à la berge ; un ou deux d’entre eux y avaient presque réussi quand, à notre grande douleur,