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cœur était avec eux. Je dois dire que comme nous avancions dans le voyage, je perdais de vue son véritable but, je me sentais de plus en plus enclin à m’en détourner pour rechercher un pur amusement si, en réalité, j’ai raison d’appeler d’un mot aussi faible qu’amusement cette excitation profonde et intense avec laquelle je considérais les merveilles et les beautés majestueuses des solitudes que nous traversions. Pas plutôt j’avais vu une région, que j’étais possédé du désir irrésistible de pousser plus loin, et d’en explorer une autre. Jusque-là cependant, je me sentais trop près encore de nos établissements pour assouvir mon amour brûlant de l’inconnu. Je ne pouvais m’empêcher de m’apercevoir que quelques blancs, quelques hommes civilisés, — quoiqu’en petit nombre, — m’avaient précédé, que quelques yeux, avant les miens, avaient été étonnés par les scènes qui m’environnaient. Si ce n’eût été pour ce sentiment qui me poursuivait sans cesse, j’aurais peut-être dévié davantage de ma route, pour examiner la configuration du pays bordant le fleuve, pour pénétrer profondément de temps en temps dans la région au Nord et au Sud de notre cours. Mais j’étais pressé d’avancer, d’arriver, si possible, plus loin que les limites extrêmes de la civilisation, de voir si je le pouvais, ces montagnes gigantesques, dont l’existence ne nous avait été enseignée que par les vagues récits des Indiens. Ces espérances, ces desseins, je ne les communiquais à personne d’entre nous, qu’à Thornton. Il participait à tous mes projets de visionnaire et entrait pleinement dans les idées d’entreprises romanesques qu’entre-