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Toute cette interruption nous avait retenus assez longtemps. Il était après trois heures quand nous reprîmes notre route. Nous fîmes grande hâte. Car j’étais désireux d’être, avant la nuit, aussi loin que possible de la scène du combat. Nous avions un fort vent arrière, et le courant diminuait de force comme nous avancions, le fleuve continuant à s’élargir. Nous fîmes donc beaucoup de chemin et à 9 heures nous avions atteint une île grande, bien boisée, située près de la côte nord, à l’embouchure d’un petit affluent. Nous résolûmes d’y camper et avions à peine mis pied à terre, quand un des Greelys tua un beau buffle. Ces animaux étaient nombreux dans l’île. Après avoir placé nos sentinelles pour la nuit, nous accommodâmes la bosse du buffle pour souper, et l’arrosâmes d’autant d’eau-de-vie que cela nous convenait. Nous discutâmes alors nos exploits du jour. La plupart des hommes traiteront tout le combat comme une excellente plaisanterie. Mais je ne pouvais aucunement me réjouir à ce sujet. Jamais avant, je n’avais répandu de sang humain. Et, quoique le bon sens me représentât que j’avais pris le parti le plus sage et celui sans doute qui se trouverait finalement être le moins sanguinaire, cependant ma conscience se refusait à entendre raison, murmurant obstinément à mon oreille : « c’est du sang humain que tu as versé. »

Les heures passèrent lentement, je ne pouvais dormir. Enfin le jour apparut, et avec la fraîche rosée du matin, la brise, les fleurs souriantes, il me vint un nouveau courage et un cours de pensées plus hardi. Je considérai avec plus de sang-froid ce que j’avais fait, et je regardai