Page:Poe - Contes grotesques trad. Émile Hennequin, 1882.djvu/18

Cette page a été validée par deux contributeurs.

questions d’argent avec un de ses rédacteurs en chef, un bohême, d’acteur devenu publiciste, qui lui adressa des reproches et des réclamations, utiles plus tard à Griswold pour édifier une de ses calomnies, une accusation d’abus de confiance, que dément une lettre fort claire de Poe lui-même. Il dut surtout dépenser une grosse partie de son temps et de son travail à batailler contre les médiocrités littéraires, à soutenir contre les écrits insignifiants une guerre acharnée qui lui fit perdre la sympathie de ses confrères et lui ferma un grand nombre de revues. Ces critiques, que le goût susceptible et l’impressionnabilité de Poe rendaient acerbes, étaient de la littérature plus facile à placer, plus courante que ses histoires, rapportant davantage au journal qui les insérait, par le scandale de leur franchise. Peu-à-peu, par tempérament, Poe trouva plaisir à ces agressions. Il entreprit d’élaguer la littérature américaine d’alors, assemblage de petites œuvres à célébrité locale, où l’on irritait, par des critiques, l’amour-propre de villes autant que d’individus. Cette tâche de policier était dangereuse. Il y contracta, à force de découvrir et de dénoncer des plagiats, la manie d’en voir dans tous les écrits. Il accusa de cette supercherie Longfellow, la gloire nationale, et flagella toutes les lettres et tout le chauvinisme américain, dans un article sur les satires de Wilmer. Il émit des opinions littéraires qui choquèrent l’utilitarisme général de ses compatriotes. Il osa louer Tennyson et Barrett Browning, alors qu’ils étaient presque inconnus. On ne lui pardonna pas l’audace de préférer les poëtes anglais aux nationaux.

Par tous ces expédients, en se compromettant dangereusement, il parvint à se maintenir lui et les siens. Il trouvait encore le temps d’ouvrir dans le Graham’s Magazines un concours de cryptographie, résolvant avec une ingéniosité et une rapidité merveilleuses, tous les chiffres qui lui étaient