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élevé, ni cependant très-bas, de sorte, qu’en somme, je pensais que Dieumedamne, le franchirait. Mais qu’arriverait-il, s’il ne le franchissait pas ? Quel droit, me dis-je, a ce vieux Monsieur de faire sauter les gens ? Ce vieux petit radoteur, qui est-il ? S’il me demande de sauter, je ne le ferai pas, voilà qui est clair, et je ne me soucie pas de savoir qui diable il est.

Le pont, comme je l’ai fait observer, était voûté et couvert d’une façon ridicule. Il y avait là dedans un écho, très désagréable. Cet écho, je ne l’entendis jamais si distinct que quand je m’oubliai à murmurer les trois derniers mots de ma réflexion.

Mais ce que je dis, pensai ou entendis ne m’occupa qu’un instant. Mon pauvre Tobias avait pris son élan. Je le vis courir agilement, puis sauter du sol du pont en agitant ses jambes de la façon la plus admirable, comme il montait en l’air. Je le vis tout en haut faire le pigeon volant merveilleusement, juste au-dessus du tourniquet. Mais, chose que je trouvai extrêmement singulière, il ne continua pas à décrire sa courbe, il ne passa pas par-dessus l’obstacle. Le saut ne dura qu’un instant, et avant que j’eusse le loisir de faire de profondes réflexions, voilà Dieumedamne qui tombe à plat sur son dos, devant le tourniquet, du même côté que celui d’où il avait bondi.

Au même moment je vis le vieux Monsieur s’en aller en clopinant le plus vite qu’il pouvait. Il avait saisi et enveloppé dans son tablier quelque chose qui y était tombé lourdement de la voute obscure juste au-dessus du tourniquet.

De tout cela je fus fort étonné, mais sans avoir le