Page:Poe - Contes grotesques trad. Émile Hennequin, 1882.djvu/166

Cette page a été validée par deux contributeurs.

En observant de plus près ce personnage, je remarquai qu’il portait un petit tablier de soie noire par dessus ses habits ; et c’était là un fait qui me parut bizarre. Mais avant que j’eusse le temps de faire aucune remarque sur ce détail singulier, le personnage fit une seconde fois « bon. »

À ce monosyllabe, je ne trouvai pas immédiatement de réponse. Le fait est que les interjections de cette nature laconique sont à peu près sans répartie possible. J’ai connaissance d’une revue qui fut réduite au silence par un simple « ah bah ». Je n’ai donc pas honte de dire que je me retournai vers Dieumedamne pour lui demander conseil.

— Dieumedamne, dis-je, qu’est-ce que vous faites ? Est-ce que vous n’entendez pas ? Ce monsieur a dit « bon ».

Je regardais sévèrement mon ami en lui parlant de la sorte ; car à dire vrai, je me sentais particulièrement embarrassé, et, quand un homme est embarrassé, il lui faut froncer les sourcils et prendre un air terrible ; autrement, il est à peu près sûr de faire la figure d’un sot.

— Dieumedamne, m’écriai-je, quoique cela sonnât énormément comme un juron, ce à quoi je ne songeais nullement, Dieumedamne, dis-je, ce Monsieur a dit « bon ».

Je n’essayerai pas de défendre ma remarque au point de vue de la profondeur ; je ne la croyais pas profonde moi-même ; mais j’ai observé que l’effet de nos discours n’est pas toujours proportionné à l’importance qu’ils ont à nos propres yeux.