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que j’étais sorti ? Il me posait cette question, comme à un homme de véracité, et il s’engageait à s’en tenir à ma réponse. Encore une fois, il me le demandait explicitement, ma mère savait-elle que j’étais dehors ? Ma confusion, dit-il, me trahissait, et il voulait bien parier sa tête au diable, que mes parents ignoraient mon escapade.

Dieumedamne n’attendit pas ma réponse. Tournant sur ses talons, il me quitta avec une précipitation peu digne. Il fit bien de partir. Mes sentiments avaient été blessés, ma colère même excitée. Pour une fois j’aurais tenu son pari insultant et j’aurais gagné au malin la tête de Dieumedamne ; car le fait est que ma mère savait parfaitement que j’avais quitté la maison.

Mais, Khôda schefa midêhed, le ciel donne guérison, comme disent les Musulmans quand vous leur marchez sur les orteils. C’était dans l’accomplissement de mon devoir que j’avais été honni, et je supportai l’insulte comme un homme. Il me sembla, cependant, que j’avais fait tout ce qu’on pouvait exiger de moi pour ce misérable, et je résolus de ne plus l’ennuyer de mes conseils, l’abandonnant à sa conscience et à lui-même. Mais quoique je m’abstinsse, dorénavant, de lui donner des avis indiscrets, je ne pus prendre sur moi de rompre complètement avec lui ; j’allai même jusqu’à prendre plaisir à quelques-uns de ses penchants les moins répréhensibles ; et il y eut des moments où je me surpris à rire de ses plaisanteries perverses, — comme les Épicuriens mangeaient de la moutarde — les larmes aux yeux. Tant ses mauvaises paroles m’affligeaient.

Un beau jour, étant sortis flâner bras dessus, bras