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« je vous parie tout au monde, » ou « je vous parie ce que vous voulez, » ou plus crûment « je parie ma tête au diable. »

Ce dernier tour de langage sembla lui plaire le mieux, peut-être parce qu’il entraînait le moins de risques. Car Tobias Dieumedamne était devenu terriblement parcimonieux. Si quelqu’un l’avait pris au mot, sa tête était petite, et la perte eût été petite aussi. — Mais ces réflexions sont de moi et je ne suis nullement sûr que j’aie le droit de les prêter à mon ami. Quoi qu’il en soit, sa phrase lui agrée tous les jours davantage, malgré l’inconvenance grossière d’un homme pariant son cerveau comme des billets de banque. Mais c’était là un point que la perversité de mon ami ne lui permettait pas de comprendre. Finalement, il abandonna toute autre forme de pari et s’adonna au « je parie ma tête au diable, » avec une dévotion exclusive qui me déplut autant qu’elle me surprit.

Je suis toujours désagréablement frappé par les choses dont je ne puis me rendre compte. Les mystères forcent l’homme à penser et nuisent ainsi à sa santé. Le fait est qu’il y avait quelque chose dans l’air avec lequel Dieumedamne avait coutume d’émettre son expression déplaisante, quelque chose dans sa façon de s’énoncer qui d’abord m’intéressa, puis me mit mal à mon aise, quelque chose qu’à défaut de terme plus exact, je demande la permission d’appeler drôle, mais que M. Coleridge qualifierait de mystique, M. Kant de panthéistique M. Carlyle de circonvolutif, et M. Emerson d’hyperludicatif.