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Jacobus Hugo s’est tenu pour assuré que Homère par Evénus entendait insinuer Calvin, par Alcinoüs Martin Luther, par les Lotophages les protestants en général, et par les Harpies les Hollandais.

Nos scholiastes plus modernes sont également perspicaces. Ces braves gens prouvent que les Antidéluviens ont un sens caché, que tel poëme est une parabole, que tel autre ouvre de nouveaux horizons, que « Saute sur mon pouce » renferme des vues transcendantes ; bref il a été démontré qu’aucun homme ne peut s’asseoir pour écrire, sans quelque très-profond dessein.

On épargne ainsi beaucoup de travail aux auteurs en général. Un romancier, par exemple, n’a nul besoin de se creuser la cervelle au sujet de sa morale. Elle est là, c’est à dire elle est quelque part. La morale et les critiques n’ont qu’à s’arranger entre eux. Quand le moment sera venu, tout ce que ce Monsieur a voulu dire et tout ce qu’il n’a pas voulu dire, seront mis en pleine lumière dans le Quotidien et la Revue du temps, à ne pas oublier tout ce qu’il aurait dû vouloir dire et tout ce qu’il avait évidemment l’intention de vouloir dire ; en sorte que finalement tout ira pour le mieux.

Il n’y a donc aucune justice dans l’imputation lancée contre moi par certains ignorants, qui prétendent que je n’ai jamais écrit de conte moral ou, plus précisément, de conte qui eût une morale. Mes dénigreurs, tout simplement, ne sont pas les critiques prédestinés qui doivent m’interpréter et faire ressortir mes tendances vertueuses. Voilà le secret. Un jour la Somnifère de l’Amérique du Nord leur fera honte de leur stupidité.