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une semaine, sans avoir trop à nous plaindre des naufrageurs, et enfin nous trouvâmes passage pour New-York.

Un mois environ après la perte de l’Indépendance, je rencontrai par hasard le capitaine Hardy sur le Broadsway. Notre conversation tomba naturellement sur les aventures par où nous avions passé et spécialement sur la triste fin du pauvre Wyatt. C’est ainsi que j’ai appris les détails suivants.

L’artiste avait pris passage pour lui, sa femme, ses deux sœurs et une domestique. Sa femme était réellement comme il la décrivait, accomplie et charmante plus qu’on ne peut dire. Le 14 juin au matin (le jour où je visitai pour la première fois le paquebot,) elle était tout à coup tombée malade et elle mourut. Son mari fut hors de lui de douleur, mais ses affaires lui interdisaient absolument de retarder son voyage à New-York. Il voulut porter le corps de sa jeune femme à sa belle-mère, et, d’autre part, un préjugé universel et notoire l’empêchait de le faire ouvertement. Neuf dixièmes des passagers auraient abandonné le navire plutôt que de se mettre en mer avec un cadavre. Dans ce dilemme, le capitaine Hardy disposa que le corps, qui avait été hâtivement embaumé et placé avec du sel dans une caisse de dimensions convenables, serait amené à bord comme marchandise. On ne parlerait pas du décès de Mme Wyatt. Mais comme on savait que l’artiste avait pris passage pour sa femme, il fallut que quelqu’un jouât le rôle de la morte pendant le voyage. On persuada aisément à la domestique de s’en charger. La troisième