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versée, le temps fut beau, quoique nous eussions vent debout, la brise ayant tourné au Nord, dès que la côte fut hors de vue. Les passagers étaient donc de belle humeur et enclins à la sociabilité. Je dois faire exception cependant pour Wyatt et ses sœurs qui se comportèrent avec morgue, et, je ne pus m’empêcher de le penser, avec peu de courtoisie envers le reste de la société. Pour la conduite de Wyatt, je n’y fis pas grande attention ; il était sombre plus que d’habitude ; en fait, il était morose. Mais je connaissais de longue date son excentricité. Quant à ses sœurs, je ne pouvais leur trouver d’excuse. Elles se renfermèrent dans leurs cabines pendant la plus grande partie du trajet, et refusèrent absolument, quoique je les en priasse à plusieurs reprises, de frayer avec personne à bord.

Mme  Wyatt, elle, était de bien meilleure composition. Elle aimait à causer, et ce n’est pas là une mince qualité. Elle devint excessivement intime avec la plupart des dames à bord, et, à mon profond étonnement, montra des dispositions peu équivoques à coqueter avec les Messieurs. Elle nous amusait tous beaucoup. Je dis « amusait. » Je sais à peine comment je dois m’exprimer. Le fait est qu’on riait plus souvent de Mme  Wyatt qu’on riait avec elle. Les Messieurs en disaient peu de chose, mais les dames, après quelques jours, la déclarèrent « une bonne pâte de femme, sans prétention, totalement dépourvue d’éducation et vulgaire au possible. » Notre grand étonnement, c’est que Wyatt eût pu donner dans un pareil parti. « Mariage d’argent » disait-on. Mais je savais, moi, que ce n’était