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— Vraiment ? Eh mais, ce fut moi qui dis à Aristote qu’en éternuant les hommes éliminent par le nez le trop plein de leurs idées.

— Ce qui est — ici Bon-Bon eut le hoquet — indubitablement le cas.

Il se versa un second verre et offrit une prise à Sa Majesté.

— Il y avait aussi Platon, continua le visiteur en déclinant modestement la tabatière et le compliment qu’elle impliquait ; il y avait aussi Platon, pour lequel j’ai eu un temps, toute l’affection d’un ami. Vous avez fréquenté Platon, mon cher hôte ? — Ah mais non, j’oubliais ; mille excuses. — Il me rencontra à Athènes un jour, au Parthénon, et me dit qu’il ne savait comment faire, qu’il cherchait une idée depuis une éternité. Je le priai d’écrire : Ό υοῦς έστιυ αὐλός. Il me dit qu’il le ferait, et s’en alla chez lui. Moi, je partis pour les pyramides. Mais ma conscience me reprochait d’avoir révélé une vérité, même à un ami. Je me hâtai de revenir à Athènes et y arrivai au moment où mon philosophe écrivait le mot αὐλός. Donnant une chiquenaude au lambda, je le mis à l’envers, de sorte qu’aujourd’hui on lit : Ό υοῦς ἐστιυ αὐγός. C’est là, comme vous savez, la sentence fondamentale de la métaphysique platonicienne.

— Avez-vous jamais été à Rome ? demanda le philosophe en finissant la seconde bouteille de champagne et en allant chercher du chambertin.

— Une fois seulement, Bon-Bon, dit Sa Majesté parlant gravement, comme un livre. Il y eut un temps où se produisit, à Rome, une anarchie de 5 ans, pendant