Page:Poe - Contes grotesques trad. Émile Hennequin, 1882.djvu/104

Cette page a été validée par deux contributeurs.

soigneusement les verres sur la manche de son habit, et les mit dans sa poche.

L’incident du livre avait étonné Bon-Bon ; mais ce qu’il vit alors le saisit bien davantage. En levant la tête, curieux de savoir quelle couleur avaient les yeux de son hôte, il découvrit qu’ils n’étaient ni noirs, ni gris, ni noisette, ni bleus, ni jaunes, ni rouges, ni d’aucune couleur céleste, terrestre ou marine. Bref, Bon-Bon s’aperçut que Sa Majesté n’avait pas trace d’yeux, ni apparence qu’elle en eût possédé à aucune époque précédente ; car à la place où ils auraient dû normalement se trouver, il n’y avait, je suis forcé de le dire, qu’un amas de chairs mortes.

Il n’était pas dans la nature du métaphysicien de garder pour lui son étonnement sur cette anomalie. La réponse que lui fit Sa Majesté fut à la fois prompte, digne et satisfaisante.

— Des yeux, mon cher Bon-Bon, des yeux, avez-vous dit ? Oh, ah, je comprends. Les sottes histoires, eh, que l’on débite sur mon compte, vous ont donné de fausses idées sur ma figure. Des yeux, vraiment ! — Les yeux, mon cher Bon-Bon, font très-bien à leur place, — c’est là le front, me direz-vous. Très-vrai ; le front d’un vermisseau. Pour vous, ces instruments d’optique sont indispensables ; et cependant, je vais vous convaincre que ma vision est plus pénétrante que la vôtre. — Voilà une chatte, une chatte que j’aperçois dans le coin, une jolie chatte. Regardez-là, observez-là bien. — Maintenant, Bon-Bon, répondez-moi ; voyez-vous les pensées, les pensées, dis-je, qui s’engendrent en ce moment sous son